Les mémoires en conflit
Les mémoires de la guerre d’indépendance algérienne sont multiples et concurrentes, de fait elles sont le plus souvent conflictuelles. Cela est dû à la particularité du conflit : partie intégrante de la France sous la forme de départements, l’insurrection définie immédiatement comme une guerre par le FLN ne l’est pas pour la métropole. Parler de guerre supposerait en effet la reconnaissance de l’Algérie comme une nation, donc reconnaître une légitimité à l’insurrection. Il est alors impossible de nommer le conflit si ce n’est en évoquant « les évènements d’Algérie ». En réalité il s’agit bien d’une guerre de type colonial mais qui, en l’occurrence, est aussi un double affrontement: Franco-français et Algero-algérien. C’est dire alors l’antagonisme persistant des mémoires des différents acteur.rices de cette guerre.
Ces mémoires sont celle des rapatrié.es d’Algérie et de leurs descendant.es, construite par la nostalgie du pays perdu et par la violence de guerre. C’est aussi celle des appelés contraints de participer à un conflit si particulier, celle des soldats de métiers qui, pour certains, ont connu les combats depuis la Résistance en passant par la guerre d’Indochine. Il y a celle des harkis et de leurs enfants. A cela s’ajoute celle de ceux qui ont vécu le conflit en métropole en tant qu'Algérien.nes, de ceux qui se sont engagé.es par leurs actions ou leurs écrits. Il faut attendre 1999 pour que la France reconnaisse officiellement qu’il s’agissait d’une guerre. Le 22 janvier 2002, le Parlement adopte une loi qui fait de la date du cessez-le-feu du 19 mars 1962 au lendemain des accords d’Evian la date officielle de la fin du conflit. Le 17 septembre 2003, le Président de la République Jacques Chirac décide pourtant que le 5 décembre sera le jour de commémoration de la fin du conflit. Cette date est choisie parce qu’elle correspond à l’inauguration par le Président de la République du mémorial, quai Branly à Paris, consacré aux morts pour la France en AFN, le 5 décembre 2002. Date choisie non pas pour sa signification, elle n’en a pas, mais parce qu’elle permet d’éviter le 19 mars 1962. Ces retournements au gré des différentes majorités politiques (1997, cohabitation entre J. Chirac et L. Jospin, 2002 élections de J. Chirac pour un deuxième mandat) et ce choix final traduisent l’antagonisme aigüe et persistant des mémoires. En effet, des associations d’anciens combattants, d’anciens harkis et de rapatrié.es ont revendiqué l’abandon de la date du 19 mars 1962 en avançant les violences qui ont persisté après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 (morts de la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, enlèvements et morts à Oran en juillet 1962 et massacres des harkis durant l’été 1962). D’autres associations comme la FNACA, majoritaire chez les anciens combattants, militent pour la date du 19 mars. Le dernier épisode en date de ce conflit de mémoires rendant difficile le choix d’une date de commémoration, est celui de Béziers où le maire décide en mars 2015 de débaptiser la rue du 19 mars 1962 dénommée ainsi depuis 36 ans pour lui donner le nom d’un officier ayant participé au putsch d’avril 1961.
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Récit en écoute : Germaine Fabricatore - Louis Rossetti
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Bibliographie :
Raphaëlle BRANCHE, La guerre d'Algérie : une histoire apaisée ?, Le Seuil, Points, 2005.
Sylvie THÉNAULT, La guerre d’indépendance algérienne. Mémoires françaises in Historiens et Géographes, n° 425, février 2014, pp. 75-90.
Benjamin STORA, La gangrène et l'oubli, la mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, la Découverte, 1998.